Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/76

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Qu’est-ce qu’il y avait, après tout, de si compliqué dans un mariage ? On va trouver le secrétaire de la mairie : on lui dit qu’on veut se mettre en ménage, et il se charge de vous fournir les petits papiers.

— Ben, si c’est pas plus difficile que ça, finit-il par dire, vas-y lui demander, les papiers.

C’était un des traits de son caractère d’ouvrier que cette paresse aux démarches : il appréhendait les formalités, la publicité des bans, les écritures, toute cette paperasserie à remuer. Quantité, pour ne point passer par là, s’éternisaient dans le concubinage, et, n’était cette notion du devoir qui chez lui primait irrésistiblement tous les autres entraînements, volontiers il eût fait comme eux. Mais, du moment qu’il pouvait se décharger sur elle de l’ennui des courreries, il ne voyait plus d’empêchement à se marier à bref délai.

Clarinette se rendit donc un matin à la mairie : dès les premiers mots du secrétaire, un personnage à lunettes plantées sur le bout du nez, rauque et mal complaisant, elle fut épouvantée de toute la multiplicité de certificats et de permis qu’il fallait à cette chose si simple : vivre à deux. Comme la mère de Huriaux était née en pays flamand, quelque part, très loin, on dut attendre quinze jours l’arrivée des papiers constatant la filiation de Jacques. Puis le consentement de Félicité parut une grosse difficulté, en raison du mauvais gré qu’elle avait toujours témoigné à sa fille. Jacques ayant écrit pour celle-ci une lettre respectueusement tournée dans laquelle Clarinette lui demandait sa bénédiction et le reste, la rude commère fit répondre par son vaurien de Célestin qu’ils eussent l’un et l’autre à venir lui faire la requête en personne.

Cette fois le puddleur fut sur le point d’envoyer tout au diable ; mais Clarinette sauva la situation en déclarant qu’elle irait seule. Elle partit le dimanche suivant pour les Breteaux, et, en chemin, rencontra Cigognier qui filait à la ville. Il y avait plus de deux ans qu’ils ne s’étaient vus ; il la trouva belle fille, et l’idée de son prochain mariage l’allumant, son mufle de bouc grimaça lascivement :

— Viens une miette dans le bois qué j’té dise un mot, fit-il en lui coulant une œillade louche.