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ments avec des manœuvres, d’affreux petits drôles déjà cyniques et qui les prenaient par les seins, les renversaient, essayaient de les forcer. Cependant tout se bornait à des jeux et à des rires, le gibier ainsi traqué finissant toujours par se dérober. Au surplus, le sexe les travaillait peu, remuant en elles des curiosités de tête plutôt que des appétences charnelles, érenées qu’elles étaient par des besognes qui les changeaient en bêtes de somme et de trait.

Clarinette atteignit ainsi ses seize ans, graduellement pervertie par la fréquentation et l’habitude de l’homme, avec la souillure en dedans de toute cette humanité rude, fermentée, glissée à l’animalité. Une ducasse où son père l’avait menée la mit en présence de Huriaux, garçon tranquille, moins grossier que les autres, à qui le sang flamand de l’ascendance maternelle avait coulé une paix naturelle. Ils eurent ensemble des rendez-vous, les soirs où Lerminia quittait la maison pour ses corvées de nuit, errant alors à deux à travers champs, les mains enlacées dans l’ombre où montait le bruit lointain des établissements.

Ce fut pour Clarinette, précocement éveillée au mal, comme la douceur d’une trêve dans sa vie d’abandon et de misère. Quelque chose de la droiture et de la bonté de ce grand garçon pacifique, d’une force sereine qui ne se démentait pas, se communiqua à elle, poussée dans des commencements mauvais, à travers la crapule parentale. Avec sa moutonnerie de gros chien docile, l’acceptant telle qu’elle lui arrivait, sans récriminer contre son humeur variable et quinteuse, il lui fit goûter la mansuétude des affections sérieuses, au sortir des grossièretés violentes de la maison. Elle l’aima d’abord comme un ami qui lui apportait une détente et un changement dans sa condition de fille battue, puis, quand elle se fut donnée, pour le plaisir qui la révéla femme, dans la secousse de ses moelles et l’étourdissement de tout son être. Enfin elle le connaissait, ce gros bonheur pâmé qu’elle avait senti monter obscurément à sa peau, toute petite, dans ses polissonneries avec Célestin, et plus tard dans ses frottements aux petits salauds de l’usine. Il lui sembla que le passé, les coups, les outrages de sa première jeunesse s’en allaient dans cet oubli de tout, qui était la possession du mâle ; et goulue, exigeante, avec les rages