Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/42

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— M’amour, tais-toi. Qu’est-ce qué t’ diras à l’ bon Dieu quand i t’ demandera comment qu’ t’ as traité ta pauv’ femme ! T’in n’sais qué mau dire di mi ! J’ t’ai pourtant rin fait ! »

Il ramassa toute son énergie dans un dernier cri :

« Allons, hue, rotte ! Va-t-in d’ichi, qué j’ te dis. »

Puis il retomba sur le lit, à bout de souffle.

Elle crut triompher, lui passa la main sur la joue et dit :

« D’ j’ m’en irai, si c’est qu’i t’ faut que j’ men vo. Mais faut m’ dire où c’est qu’ t’as mis ton argent. Not’ Clarinette est une mauvaise fille qui n’penserait pon tant seulement à s’ mère dans l’ malheur. J’ la connais : elle mangerait to, m’ laisserait crever de d’ faim sans in liard. J’ seu vieille pourtant, j’ sereu morte ed’ puis longtemps si j’ n’aveu eu m’ garçon, l’ fils à Cigognier, un bon cœur, mais pon d’ santé. Bé voyons : causons honnêtement. Dis-moi où c’est qu’ t’as mis l’argent ? »

Elle ne le lâchait plus, lui reparlait continuellement de cet argent, lui promettant de prier pour lui, s’il voulait seulement lui dire où il l’avait caché ; et chaque fois que dans sa promenade, sœur Angélina louvoyait du côté du lit, elle l’interpellait :

« Madame not’sœur, c’est-il pas eun misère dé l’voir comme çà : un si bon homme ! qu’a travaillé tote sa vie comme un ange ! Et à présent, pu’ personne ! »

Lui, cependant, la laissait dire, grommelant sourdement des jurons et par moments, quand elle se baissait, tâchant de lui saisir le cou pour l’étrangler ; mais elle se reculait, rabattait sa main inerte vers les draps, puis recommençait ses giries, têtue et bonasse. À la fin, las de lutter contre la harpie, plus acharnée qu’un taon, il se mit à pousser des hurlements doux, pleurant et vagissant d’une voix d’enfant. Et la sœur étant accourue, elle le vit suffoquant, la bouche grande ouverte, avec ses bras battant l’air, comme dans l’agonie.

Alors, la grande Félicité, perdant la force de dissimuler, tout un flot de haine remonté à la face, le pinça dans les côtes en lui crachant pour adieu :

« D’j’m’in vas, crève to seul, vî pourri ! »

Le délire commença quelques heures après le départ de la