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tions ressenties pour froisser personne, il se multipliait, assurait partout la régularité du service, songeait déjà à perfectionner l’organisation actuelle en y ajoutant une école industrielle. Marescot, sondé, sans dire non, n’avait pas jugé opportune la réalisation immédiate de ce projet.

— Ils n’ont pas encore digéré le plat que nous leur avons fait avaler, disait-il en parlant de ses collègues du conseil. Mais patience : plus tard nous leur ferons manger de bien d’autres couleuvres.

Il entrait quelquefois dans les bureaux, soufflant, très rouge, de son mouchoir d’indienne épongeant sa calvitie moite, s’informait du sort des ouvriers, un jour s’emporta contre un employé qui avait osé lui répondre que les choses allaient comme devant. Et chez lui, à table, il offrait à ses convives, sur des plateaux d’argent, du pain fait à l’usine.

— Du gâteau, rien que ça. Et tout est à l’avenant. De mon temps, on l’avait plus dur.

Jamioul n’avait pas le courage de dissiper cette grosse illusion du bonhomme qui, avec un petit coup sur l’épaule, lui grasseyait à l’oreille :

— Nous avons eu là une fière idée ! Mais, là, vous êtes trop modeste, vraiment. Vous ne demandez jamais rien pour vous. Tout pour les autres !

Petit à petit, d’ailleurs, les réformes avaient cessé de soulever les protestations. L’ouvrier, familiarisé avec les avantages que lui offraient les magasins d’alimentation, s’approvisionnait en masse. Aux écoles, les abstentions avaient presque cessé. Et lors d’un grave accident qui avait coûté la vie à un homme et en avait blessé dix-huit autres, on avait pu apprécier l’excellence du service de l’infirmerie. Toutes ces institutions fonctionnant maintenant avec régularité, on finissait par les considérer comme un progrès dans l’évolution générale des établissements. Il ne restait au fond des esprits qu’une sourde et persistante rancune inavouée, sans éclat, contre ce Jamioul à l’instigation duquel toutes les vieilles routines avaient été bouleversées.