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discussions. Huriaux brusquement banda ses muscles dans un effort plus rude ; les bras de Gaudot se détendirent, il sentit sur son thorax un genou qui lui enfonçait les côtes, pendant que deux mains le clouaient à terre par les épaules. Du coup, il était maté. Ce fut l’avis des compagnons qui, cette fois, s’interposèrent, jugeant la bataille finie. D’ailleurs Jacques lui-même en avait assez ; son coup de force maintenant le laissait désarmé, sa colère tombée. Tandis que Gaudot se relevait démoli, la peau du front ouverte, sous les filets de sang qui lui dégoulinaient dans la bouche et qu’il recrachait en salives rouges, il fendit le groupe, partit relayer Capitte à son four.



XXXI



À quelque temps de là, Péquillot mourut et Huriaux passa contremaître à sa place.

Ce fut une révolution dans son existence : il tenait à son four comme à un compagnon des bons et des mauvais jours. À eux deux ils avaient eu des folies de jeunesse ; la chanson de ses vingt ans tout un temps s’était mêlée au crépitement du feu ; dans la gaieté et l’entrain de son travail, l’énorme four alors béait hilare, comme une bouche qui rit. Plus tard, aux heures noires, cette cavité enflammée qu’il labourait de ses ringards avait ressemblé à son rouge cœur saignant où, avec des ringards bien autrement actifs, le malheur constamment remuait la souffrance. Le four brûlait, grondait, ronflait, avait l’air d’une âme en peine ; et lui, penché dessus, semblait l’attiser de son ennui, y brasser sa douleur, rouler dans la colère et le vent des flammes, au lieu de la balle, l’objet de ses rancœurs. Et jamais cet ami-là ne l’avait trahi.

En lâchant son four, c’était donc tout une part de lui-même qu’il quittait. Il faisait peau neuve dans une condition meilleure, c’est vrai, mais il rompait les habitudes du passé, il abdiquait une vieille