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a Clarinette avait fait un calcul : en temps normal les Fanfares
avaient un débit moyen de trois à quatre francs ; les dimanches,
depuis un mois, grâce à Gaudot, on était allé jusqu’à cinq ; mais
tout cela n’était pas la grande vente courante de l’Harmonie, de
la Rose Blanche et même de ce sale caboulot de la Rossette
À mon plaisir. Et elle s’était dit que la grève bien en train, l’oisiveté, le
désœuvrement, l’ennui, les criailleries des femmes lui lâcheraient
tout l’atelier avec une envie de ribote pour s’étourdir. Leloup,
Quaisin, Cayaudri, ces empoisonneurs, avaient eu la même idée ; la
grève était une aubaine pour eux ; ils allaient tenir l’ouvrier par sa
flemme, ses hâbleries, son besoin d’occuper à de la bamboche sa
grande force inutile. Tout à coup cette brusque reprise du travail
leur ôtait leur atout des mains ; à part quelques frelampiers qui
continuaient à eux seuls la grève pour rigoler, tout le monde était
rentré à Happe-Chair, les forges battaient leur plein, les galopées
avaient repris dans les cours, l’énorme haleine du monstre montait
en fumées noires dans l’air.
Clarinette en eut une déception et une colère. Alors que toutes les ménagères du Culot s’étaient réjouies de la fin du chômage, elle seule s’opiniâtrait dans son regret de cette grève avortée. Tout haut, dans son comptoir, en frappant du poing, elle pérorait, s’indignait qu’on se fût laissé prendre aux carabistouilles des patrons. La bande à Gaudot, d’ailleurs, avait suivi le mouvement général : après avoir crié par-dessus les toits qu’ils ne remettraient plus les pieds dans cette sacrée boutique, tous s’étaient retrouvés au travail comme les autres. Et elle leur en voulait comme d’une trahison, d’un manquement à une parole donnée, leur lâchant tout cru sa rancune, débagoulant de mauvaises paroles par-dessus leurs haussements d’épaules et leurs ricanements de gaillards en faute. Comme