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Un hasard, la réclamation d’un créancier des jours noirs, ayant mis Philibert Marescot au courant de cette vie tourmentée, du premier coup il s’était intéressé à Émile Jamioul dont la pertinacité et la vaillance lui rappelaient les heures dures de sa propre existence. Et une sympathie mutuelle, au frottement des relations journalières, s’était bientôt faite entre le bruyant bonhomme tout ronflant d’importance, mais généreux et sensible sous ses grosses vanités de parvenu, et ce grand garçon à l’air soucieux et concentré, qui, dans la mélancolie de ses cheveux blanchis avant le temps et la douceur un peu lasse de son visage ravagé, semblait porter le deuil de sa jeunesse souffrante.

Jamioul, comme toutes les âmes vraiment supérieures que le malheur incline à la commisération, avait trop fortement ressenti en soi les misères et les oppressions du peuple pour oublier, au sortir des longues épreuves subies, l’humanité fraternelle qu’il avait vue haleter à ses côtés sur les rocailleux calvaires. À l’exemple de Marescot qui, monté par l’escalier du million jusqu’à l’olympe où trônent les dieux de la finance, gardait une dent contre les riches, des imbéciles, disait-il, dont il avait fait bêtement les affaires, lui, l’ex-porion, en partageant avec eux les bénéfices dus à ses seules et persistantes initiatives — l’ingénieur n’avait jamais tout à fait pardonné à cette plutocratie, vainement sollicitée