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À quelque temps de là, Poncelet s’étant porté candidat pour un siège à la Chambre des députés, le mot, répété par un adversaire politique, avait fait passer un frisson indigné dans le meeting où sa candidature était discutée ; et le jour des élections il était resté piteusement sur le carreau, payant de son échec son inconcevable légèreté de paroles.

Foncièrement hostile aux idées novatrices de Jamioul, à son effort pour relever la condition morale et matérielle de la tourbe usinière, il l’avait combattu avec énergie, n’avait cédé que devant la toute-puissante influence de Marescot. Mme  Poncelet, très attachée à sa caste, comme elle appelait elle-même la noblesse, avec un dédain vigoureux pour la petite bourgeoisie et une nuance de pitié distante pour le peuple, l’ancien serf affranchi, l’homme voué à la bassesse des besognes manuelles et qui, à ses yeux, gardait toujours malgré son émancipation quelque chose de la déchéance originelle, l’encourageait dans la pensée d’une démarcation bien tranchée entre les classes dirigeantes, — une expression familière au directeur, — et l’obscur fourmillement humain, soumis à leur tutelle.

Dans les conjonctures présentes, Poncelet, obéissant à cette impulsion qui confirmait ses propres inclinations, se sentait surtout porté à sauvegarder les intérêts de ses actionnaires. Cependant, devant la grandeur du désastre, il était retenu par un reste d’humanité pour les détresses que l’accident avait laissées partout derrière lui. Il tâcha d’accorder cette double préoccupation dans un travail qu’il soumit à ses ingénieurs en le déclarant définitif et qui malheureusement, ne donnait que de très faibles compensations aux intéressés. Alors Jamioul, qui avait vainement prodigué les instances, déclara résolument qu’il se démettrait de son emploi si la direction n’adoptait pas un système de répartition plus large et plus équitable. Par loyauté il crut devoir informer Poncelet que, cette fois encore, il aurait recours à l’autorité bienfaisante de Marescot. Et en effet, il lui écrivit à Paris, où le bonhomme achevait de monter une très grosse affaire, lui dépeignit la misère des ménages, le danger d’une solution qui laissait la porte ouverte à des revendications, à des mécontentements, très probablement à des procès.