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Il raisonna. C’était son mari, après tout : en rentrant, il reprenait ses droits ; personne ne pouvait l’empêcher de se coucher dans son lit ; il avait pour lui la loi, les gendarmes, le roi et tout. Mais elle ne l’écoutait plus, suivait une idée qui venait de se faire jour dans sa cervelle, et la minute suivante s’abattant sur sa poitrine, avec un rire câlin.

— Dis, m’ chéri.

— Quoé ?

— J’trouverai de l’argent, on fera son paquet, on ira viv’ ensemble quéqu’ part. Ça va-t-il ?

Pour ça non, par exemple, il ne voulait pas. Il avait ses habitudes au Culot, il gagnait de bonnes journées à l’usine ; elle, de son côté, avait un commerce, son enfant, un mari pas trop gênant. Puis, le plaisir, c’était de faire des bêtises sans être mariés ; en ménage, ils seraient peut-être très malheureux.

Le rire s’était graduellement effacé de la bouche de Clarinette ; elle le regardait se balancer sur ses jambes, debout devant elle, l’œil vague, comme cherchant des raisons pour la convaincre. L’ennui d’avoir à discuter l’offre qu’elle lui faisait de sa vie tout à coup jeta un froid sur son coup de tête de femelle amoureuse :

— C’est nin la peine dé tant s’ remuer le sang. Si c’est qu’ ça n’ t’ va nin, dis non tout court.

— Eh ben, là, non !

Elle parut se résigner.

— T’as p’ t’ êt’ raison. Vaut p’ t’ êt’ mieux ainsi.

Mais aussitôt après, se collant les poings aux yeux, elle pleura de vraies larmes, outragée et déçue dans ce dédain d’un homme qui la rebutait.

— J’ sais à c’ t’ heure cé qué j’ voulais savoir. Maintenant qu’ t’as goûté d’ ma peau, n’ t’en faut pus, t’en as ton saoul.

Un mouvement de Huriaux qui s’éveillait interrompit ces doléances. Gaudot en profita pour battre en retraite du côté de la porte. En voilà une qui était rasoir ! Elle lui faisait une scène parce qu’il refusait d’aller misérer avec elle ! Vrai, il aurait cru cette grosse amusette de Clarinette plus raisonnable ! Mais on n’avait toujours que des déceptions avec les femmes.