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Mais il pressait toujours le pas. Alors, les deux mains en cornet autour de la bouche, elle lui cria à pleins poumons :

— Hou ! Hou ! Grande biesse, va !



II



L’infirmerie occupait, à la droite de la cour d’entrée, un grand bâtiment sans étage, contigu à l’école ménagère et à l’école d’adultes, fondées l’une et l’autre il y avait environ trois ans. C’était une initiative due principalement à un des ingénieurs de Happe-Chair, Émile Jamioul, une intelligence ouverte, toujours en quête d’améliorations pratiques. Malheureusement le conseil d’administration enrayait ses efforts. Dès le début, il s’était heurté à un esprit de résistance invétéré chez des hommes dont la plupart, financiers et personnages à blasons, mettaient le salut de la société dans le ravalement systématique du peuple et dont les autres, fils de la plèbe, ayant depuis longtemps renié leur origine, frayaient avec la noblesse et le clergé, perpétuellement tremblants pour leurs positions et leurs fortunes.

Un seul des membres du conseil l’avait sérieusement secondé dans sa campagne en faveur d’un amendement moral et matériel de la condition de l’ouvrier, jusqu’alors abandonné à lui-même et végétant dans un état de demi-animalité farouche, sorte de machine à travailler de laquelle on tirait l’or et le sang jusqu’à épuisement total et qui, après avoir longtemps alimenté les énormes revenus de la caisse sociale, finissait par crever de maladie et de misère dans un coin. C’était un ancien porion borain, enrichi par une part d’exploitation dans un charbonnage, qu’on lui avait octroyée en paiement des arriérés d’un salaire de trois mois. Tout le monde avait cru le charbonnage épuisé ; lui seul, Philibert Marescot, n’avait pas désespéré, et avec l’aide de deux ouvriers, payés tant bien que mal sur le produit d’un lopin de terre vendu parcelle par