XX
ers la mi-décembre, un amas de neiges croula sur le Culot : le
village s’ensevelit dans une horreur de Sibérie. Elles tombaient,
engloutissant les toits, les cheminées, les plates-formes, finissant
par recouvrir tout le noir paysage d’un paysage blanc, prolongé
jusqu’au fond des horizons. Les voies étant partout encombrées,
des files de vagonnets, convoyées par de grêles et poussifs remorqueurs, à tout bout de champ stoppaient, leurs caissons ouatés de
blanc brusquement entre-choqués à chaque arrêt. Puis grinçant,
tamponnant, on les voyait se remettre en marche, après un coup
de piston du machiniste enfoncé dans sa grosse capote, des moufles
aux mains, des sabots aux pieds, un bonnet à oreillons noué sous
le menton. Le roulage avait d’ailleurs presque cessé dans toute
l’usine ; des dix chevaux employés au charriage, deux seulement
travaillaient, enfoncés dans la neige jusqu’au boulet.
À présent la rumeur des ateliers se perdait, étouffée dans la sourdeur de l’air, s’enterrait sans échos aux épaisseurs de neige qui matelassaient le sol, ne laissant derrière elle qu’un grondement amorti, rythmé à intervalles réguliers par la retombée du gros pilon comme un coup de tonnerre lointain.
Une après-midi, à la cloche de six heures, Huriaux, de semaine pour le travail de nuit, s’engouffra avec le reste de la brigade par une des ouvertures du laminoir. Il mit veste bas, passa un bourgeron, et tout en achevant une pipe, alla surveiller le décrayonnage de son four. Il ne se sentait pas en train : le boucher de nouveau leur avait coupé les vivres ; il avait fallu payer un semestre du loyer, et par surcroît, la provision de pommes de terre s’épuisait. Puis un bruit avait couru dans le village : les salaires, assurait-on, allaient être réduits ; les contremaîtres, interrogés à ce sujet,