Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/18

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur le brancard. On entendit alors un grommellement confus sortir des lèvres du passeur et presque aussitôt après, il ouvrit les yeux, les reporta sur le trou béant de sa jambe, considéra surtout son pantalon déchiré. Clarinette, le voyant revenir à la vie, de nouveau se jetait sur lui avec une crise de larmes. Mais Simonard l’arrêta, bourru :

— Assez, nom dé Dié ! C’est nin en groumîant qu’ti l’ guériras, et’ mon père !

Puis, comme le passeur remuait toujours ses babines, mâchonnant des mots, il se pencha vers lui :

— Ben, quoi ? camarade, crache un coup qu’on t’intende. Quoi que t’as qu’ti veux dire ? C’est y que ton bobo t’gêne ?

L’autre hocha imperceptiblement la caboche, et d’une voix plus intelligible cette fois, bafouilla, l’œil toujours attaché à sa culotte :

— C’est pas tant ça qu’em’ pauv’ marronne qu’est foutue !

Les porteurs s’étaient mis en marche, accompagnés par le chauffeur et Huriaux jusqu’à la sortie des laminoirs. Là ce dernier fut repris d’une pitié pour cette Clarinette qui, rudoyée par Simonard, maintenant ne pleurait plus et s’en allait, son poing sur sa bouche, avec des sanglots.

— Rinette, m’chère, c’est t’papa, j’sais ben, mais t’auras d’s amis todis dans t’malheur.

— Ah ben, ouais, cria-t-elle, en lui pointant un œil mauvais, des cochons qui m’prindront pou’ s’amuser ed’la chose !

Puis elle parut regretter sa dureté et se frottant à lui, d’une ondulation de son corps :

— Va, c’est nin pou’toé que j’dis ça. T’es bon, toé, pou’ t’ Clarinette !

Les hommes s’avançaient lentement, d’un pas rythmé et lent, à travers les monts de crayers, de minerais et de houilles qui bossuaient le sol. Çà et là des ouvriers de l’ajustage et de la chaudronnerie, avertis de l’accident par la rumeur en un instant propagée dans toute l’usine, accouraient poudreux, les bras ballants, se ranger en file sur le passage de la civière, regardant décroître du côté de l’infirmerie ce buste couché sur une litière de paille et dont les mains pendaient de chaque côté dans le vide.