Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/174

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans un rire au fond duquel il ne vit qu’un lascif appel et où il y avait la joie cruelle de sa perversité toute-puissante.

En dehors du cercle des amis, l’indifférence eut bientôt passé sur la surprise qui avait d’abord accueilli le replâtrage. Ces vicissitudes conjugales faisant le fond du train-train des ménages au Culot, on en clabaudait un instant, puis la risée, les commentaires s’effaçaient dans l’habitude quasi journalières de pareilles misères. Patraque seul crachotait encore de-ci de-là, entre deux glaviots, l’aventure du plateau, mais discrètement, avec des réticences, se mettant toujours à l’abri derrière un tiers, pour dépister Huriaux, si quelque jour celui-ci lui cherchait noise.

Au fond, sans qu’il y parût, le petit Créquion était horriblement vexé. Ce n’était pas la peine de leur avoir lâché dans les jambes cette machination infernale de Capitte, qui maintenant risquait d’éclater dans les siennes.

Le borgne, en effet, furieux d’avoir cédé aux instigations de Patraque, ne parlait de rien moins que d’aller tout casser à La Marcotte ; et Créquion n’ignorait pas que, décadenée, la brute était capable de mettre sa menace à exécution. Capitte, du reste, avait des motifs graves pour en vouloir au cabaretier. Par sa faute, il était quasi brouillé avec Huriaux ; celui-ci, comme gêné à sa vue qui lui rappelait perpétuellement une blessure toute vive, l’évitait, pour n’avoir pas à lui serrer la main quand l’autre lui tendait ses puissantes phalanges.

Lui, franc comme l’or, en était venu à biaiser en toute chose, sa conscience de brave homme aveulie par le soupçon et la crainte d’imprécises machinations ténébreuses. Il redoutait à présent un entretien avec le Berlu comme un coup de lumière brutal dans l’obscure incertitude qui tout à la fois lui déchirait et lui pacifiait l’esprit, selon les heures. Un mot de Capitte l’eût à jamais fixé. Mais plutôt qu’un aveu irrécusable, il aimait mieux les inquiets flottements de sa pensée, se disant que, le crime avéré, il ne lui eût resté qu’à l’abattre, cette truie lubrique, pour en désinfecter sa maison. Il gardait donc un rogue silence devant cet autre silence piteux du borgne qui, de loin, le couvait de son unique œil chagrin, avec la mine penaude d’un chien battu.