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XVIII



Les cahotements des chariots sur les rocailleux pavés de la rue réveillèrent Clarinette vers huit heures. Elle se frotta les yeux, dans la clarté du matin gris, puis, tout à coup, se rappelant les événements de la veille, à la vue de ce lit qui n’était pas le sien et qui gardait la chaleur de sa nuit, elle se mit sur son séant et, le menton aux genoux, les poings enfoncés dans l’épaisseur du matelas, s’abandonna à des réflexions. Fallait-il qu’elle eût été bête de se faire pincer dans leur cambuse alors qu’il y avait les bois, les haies et les fossés ? Quelqu’un les avait épiés, était allé les vendre à Huriaux, peut-être bien cette salope de Flipine, à qui elle s’était sottement confiée. Mais patience, elle lui réglerait son compte à celle-là et d’ici à peu.

Il n’en était pas moins vrai que du coup, elle perdait son amant et son mari. Pour Ginginet, passe encore : elle en avait à peu près son goût ; même, s’il n’était pas revenu le premier, elle n’y aurait plus pensé. Mais son homme était son homme après tout. Puis, derrière, il y avait Mélie, les habitudes de la vie commune, l’importance qui s’attache à une situation régulière. On ne lâche pas tout ça sans un regret. Vrai qu’il l’avait aux trois quarts démolie. Pas un morceau de son corps grand comme la main qui n’eût un bleu. Mais, puisqu’elle l’avait cornifié, c’était son droit, à ce mari, de taper sur elle. N’aurait manqué que ça, qu’il lui eût dit merci pour la peine ! Les femmes mariées auraient trop facile à rigoler.

Ainsi raisonnait la Rinette en se passant le plat des mains sur les lombes, les cuisses et les épaules où particulièrement la chair lui cuisait. Poussée dans les milieux violents de l’usine, la force de l’homme l’avait de bonne heure brutalisée ; plus tard la force avait encore maté ses rébellions de jeune fille ; à pleines taloches et