Page:Lemonnier - Happe-chair, 1908.djvu/135

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à ranger les chaises dans le café vidé, pensant enfin à lui faire une scène. Mais la respiration de Mélie qui s’élevait, musicale et douce dans le silence de la maison, lui coula au cœur une mollesse. Rendu lâche par la peur de l’éveiller, il se dévêtit, bouche close, pendant que Clarinette, déjà allongée sous les draps, avec un grand bâillement de lassitude et d’ennui, bredouillait, les prunelles encore pleines de l’autre :

— Comme t’as la peau noire, mon coco !



XV



À quinze jours de là, une après-midi, Clarinette, les épaules nues, lissait ses cheveux devant le miroir, en songeant au moyen de revoir Ginginet qui lui avait promis de venir et ne venait pas. En ce moment quelqu’un entra dans le café. Elle colla ses yeux à la feuillure de la porte, aperçut le voyageur qui arpentait le carreau, et de suite après, sans prendre le temps de se couvrir, la gorge battante, courut lui sauter au cou.

— V’là deux semaines qu’on n’s’a vu. I n’vindra pu, qué j’mé disais. Et t’es là. Qué chance !

Il allongeait le cou, un peu inquiet, n’osant se risquer à des familiarités dans cette maison qui lui était inconnue.

— Es-tu seule, au moins ?

— As pas peur, chéri. L’homme est là-bas à souquer. Y a que Mélie !

Et de ses bras chauds, où la surprise et la joie mettaient des tremblements roses, elle l’attirait vers la chambre du fond, toute remuée de sentir contre sa chair le drap fin de ses habits, avec des excuses pour le lit sens dessus dessous et les chaises en désordre.

La porte refermée sur eux, il respira. Il lui mouilla la nuque d’un baiser, parla d’une tournée lointaine qui l’avait retenu : et