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et de tartines, ce gouliafre qui, au logis, ne mangeait jamais à sa faim et se regoulait là par provision.

Clarinette finit par ne plus pouvoir se passer d’elle, prise d’ailleurs à présent, chaque fois qu’on la laissait seule un instant, d’une peur effroyable d’accoucher. À la moindre crampe, elle criait que ça y était, qu’on allât quérir la matrone, et il fallait se mettre à quatre pour la ramener à la raison.

La sage-femme du Culot, d’ailleurs, était venue pour lier connaissance ; mais, après lui avoir tâté les lombes, elle n’avait pas jugé nécessaire de reparaître. C’était une vieille praticienne, cette Marie-Rose Touchard, d’encolure épaisse comme une taure, et qui, depuis quarante ans bientôt, accouchait le pauvre monde sans trop d’avanies. Elle habitait dans la grand’rue du village, une petite maison, reconnaissable à un tableau accroché au-dessus de la porte avec cette indication : « Dame accoucheuse, saigne et vaccine, » sous la peinture qui la montrait en robe de soie et châle de cachemire, un poupon recouvert d’un long voile dans les bras.

C’était Zébédé à présent qui se chargeait des approvisionnements chez Malchair, une indiscrétion du boutiquier avait rendu Clarinette prudente. La dernière fois que Huriaux était allé à La Confiance, le bonhomme avait refusé son argent, en lui disant d’un air narquois :

— C’est pas l’habitude à mame Huriaux ed’ payer. Elle a son compte d’sus l’livre.

Et il l’avait accompagné jusqu’au trottoir, toujours souriant.

— Bien à vos ordres, m’sieu Huriaux ! Et dites s’il vous plaît à mame Huriaux que Malchair attend de ses nouvelles !

Jacques, en rentrant, s’était informé de ce compte qu’il ignorait ; mais Clarinette lui avait fermé la bouche brutalement.

— Ben quoi ? j’l’paye c’t homme, quand j’ai des liards et quand j’en ai nin, je n’paye nin. Si t’avais du cœur, c’est pon’ des huit francs que tu gagnerais. Ti manges comme quatre et ti travailles comme un. Puis, tout ça, c’est mes affaires !

Malchair, cependant, commençait a s’impatienter ; elle l’avait lanterné aux deux dernières échéances ; et, à nouveau, il menaçait de s’adresser a Huriaux si elle ne s’acquittait pas par des acomptes.