Page:Lemonnier - Félicien Rops, l’homme et l’artiste.djvu/91

Cette page a été validée par deux contributeurs.

toutes ses puissances intérieures il tend à l’œuvre de demain, à celle où il apparaîtra le tragique évocateur de l’amour et de la mort, faces jumelles d’un même principe de vie et de désagrégation, où sur des lits et des claies de torture que connurent seulement les Japonais, il fera hurler l’éternelle damnation de la chair fourgonnée par l’impossible désir. Il y sera alors le suprême artiste satanique réalisant la notion catholique de la démence et de la perdition, avec un génie subtil et sardonique de théologien et d’inquisiteur.

Mais il faudra que son initiation se soit accomplie. Quand il aura vu dans la femme la Femelle préposée à la fin des règnes, l’ouvrière des Bas-Empires, l’artisane des ruses diaboliques accouplée à la mort, il en demeurera comme halluciné. Le fumet de ses aisselles dès lors l’affole et l’épouvante ; il lui vient l’âme hagarde et flagellée d’un réel adepte des Messes noires ; il bâtit l’autel d’airain et d’ébène où elle deviendra l’hostie vivante. J. K. Huysmans pourra dire de lui : « Avec une âme de Primitif à rebours, il accomplit l’œuvre inverse de Memling. » Il est, en effet, une espèce de mystique de la damnation.

Du reste, il n’y a pas de meilleur commentaire de l’œuvre de Rops que celui qu’il écrit lui-même, dans les petits papiers à la calligraphie serrée qu’il sème en tous sens et où il blute, au tamis de sa verve d’épistolier, un substantiel blé d’art et de vie. Aucune dissertation sur son œuvre ne vaudra jamais les feuillets étincelants de verve où il s’ausculte à mesure, se tâte le pouls, s’impose le cœur et mettant la plus spirituelle coquetterie à dérouter sur son compte ceux avec lesquels il correspond, semble surtout prendre connaissance de lui-même, inquiet toujours de ce qu’il va faire, tout bouillonnant d’idées et de sensations, l’esprit comme une vaste toile tendu aux quatre points cardinaux et où tisse l’araignée de sa pensée. Ce sera peut-être le dernier livre qu’on écrira sur lui, et ce livre, c’est lui-même qui l’aura fait.