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sante aux gasconnades en qui les gens de Flandre avaient cultivé leur humeur joviale et libre. D’une frontière à l’autre, dans un pays où les deux races, de langue et de terroir différents, l’une alerte, bruyante, taillée dans le grès natal, l’autre lente, tenace, renfermée, d’autant plus sujette à se détendre en de grosses sensualités de mangeailles et d’histoires grasses, avaient toujours voisiné en cousines germaines plutôt qu’en sœurs, c’était là comme un patrimoine légué par les ancêtres et qu’on se partageait.

Il se fit justement que, dans le même temps où le jeune Wallon s’impressionnait des « dits et aventures » de l’Homme au hibou, tel que d’anciennes estampes représentaient le légendaire garnement, un adolescent, portant en soi les deux races, Charles de Coster, à peu près du même âge que son ami de plus tard, sans doute aussi les lisait dans quelque almanach ou autre recueil consacré aux mirifiques histoires du grand coureur de pays. Sans doute leur liaison commença dans un de ces ateliers de peintres bruxellois où tous deux fréquentaient, l’un déjà connu pour son mordant esprit de caricaturiste, l’autre qui se préparait à son grand art d’écrivain par des contes, des parodies et des articles sur les Salons. Quand, en janvier 1857, Rops, au recto d’une carte d’étrennes cornée, donna le portrait des douze collaborateurs de l’Uylenspiegel, on put voir aux mains de De Coster, annoncé sur la couverture d’un livre, ce titre : Les légendes flamandes. Ce fut la première sève de cette veine généreuse qui continua dans les Contes brabançons et aboutit à ce merveilleux poème d’une race, La légende d’Uylenspiegel.

Les affinités se consolidèrent : ils se sentirent dans l’art et la vie le même fraternel battement de cœur, émerveillé et candide chez le conteur, orageux chez son ardent compagnon. Charles De Coster, au surplus, avait, par sa mère, une goutte de sang wallon dans les veines. Ce fut le vin de la vigne wallonne qui, dans la large coupe de son génie, se mêla à la fermentation du houblon flamand. Il s’était fait une langue composite où, par l’effet d’une sorte