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Ce fut la gaîté des heures héroïques : on ne les recommence pas à chaque tournant de l’histoire. Bruxelles, qui avait été superbe de belle humeur tranche-montagne et de crânerie batailleuse, rependit le fusil et se mit au travail dans le pays devenu une des forges du continent. Cependant, tandis que la vieille ville s’écroulait dans une débâcle de moëllons et faisait place à la capitale actuelle, tirée au cordeau, passée à la ripe et rebâtie à neuf, la bonne humeur locale ne mourait non plus que le goût de la bombance et des beuveries. Mais, comme une frappe que démarque le billon rejeté à la fonte, on sentit bien tout de même que l’esprit nouveau était en train de démonétiser les mœurs du bon temps.

L’Uylenspiegel marque la fin d’une époque. Toute la grosse malice luronne qui avait fait le renom des « Joyeux », des « Cosaques, » des « Agatophèdes », plaisants cénacles du temps, n’était pas épuisée. Le bonhomme Madou peignait toujours ses petits sujets qui l’avaient rendu populaire : Victor Lefèvre, sous le nom de « Coco Lulu », rimait des chansons maroliennes ; le peuple et même la bourgeoisie parlaient un patois dit « vache espagnole », vraie galimafrée composée du résidu de toutes les langues imaginables. C’était la part de l’âme antérieure. Cependant Charles de Coster écrivait sa Légende d’Ulenspiegel ; Leys, d’une large sève populaire, renouvelait le romantisme démodé du tableau d’histoire ; tout un groupe, revenu aux qualités de la race, débutait dans une peinture qui sentait la nature et la vie.

La feuille était hebdomadaire, paraissait sur huit pages, avec deux lithographies et portait au sous-titre : « Journal des ébats artistiques et littéraires ». Madou avait dessiné la vignette de tête : on y voyait le héros légendaire, menton dans la main, complotant quelque farce copieuse près de l’enfant geignant dans sa chaise percée. L’anecdote était célèbre, mais sans rapport avec les visées du journal : le brave homme de peintre ne s’était pas mis en frais d’invention. Néanmoins il suffisait que le sacripant fût représenté, sa