Page:Lemonnier - Félicien Rops, l’homme et l’artiste.djvu/294

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Rops salua de la main, frémissant, toute sa jeunesse reparue aux yeux, comme deux ans plus tôt, à l’autre commémoration, celle de Charles De Coster.

Soudain des clochettes grelottèrent ; les petites vagues de sable dans la dune se couronnèrent d’un processionnement d’aumailles à petits pas paissant le gramen amer. Elles arrivèrent ainsi jusqu’à la stèle. Il sembla que d’eux-mêmes, pour célébrer leur glorieux ami, les grands bœufs roux et les génisses blanches qui lui avaient servi de modèles, eussent quitté leur étable. Ce fut la surprise et la grâce d’une pastorale : l’âme de la Flandre enveloppa le paysage.

J’étais près de Félicien Rops : il eut un long frisson ; ses narines battirent ; une rosée lui perla aux yeux. Dans la minute de bonne émotion filiale, visiblement la terre natale, fut près de son cœur. On vit bien alors tout ce qui, au contact du sol, dans l’heure émouvante, pouvait encore s’éveiller de sèves jeunes et chaudes sous la vieille écorce ravinée par les saisons.

Cependant la nature, sous tant de chocs réitérés, parut brusquement fléchir. Ses paroles cessèrent de se lier ; le foie gonfla ; tout le côté, d’un relief comme repoussé au marteau, fut projeté. On le soutint, on l’exhorta à prendre du repos ; il s’y refusa. Une sorte de bravoure et de défi le rendait héroïque devant le mal. Il ne repartit que le lendemain : il ne devait plus revenir au pays.

Le maître raffiné et corrosif, le suprême artiste des perversités de l’amour, le semeur de la graine de péché et de vie aux champs de la folie, eut la fin d’un homme de la nature. Il mourut au cœur de sa maison, comme le paysan qui attend la mort près de la fenêtre. Sentant la vie à bout, il cessa de lutter contre la Camarde qui depuis dix ans le guettait. Il aimait s’asseoir sous les arbres du jardin, dans le tourbillon musical des abeilles, regardant par les chemins glisser le soleil, les prunelles mollement