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XXIII


Je le revis l’an d’après. Il était venu m’attendre à la gare de Corbeil avec sa voiture, une tapissière de campagne, attelée d’un gros cheval rouan. Guêtré, la cloche en paille sur les yeux, sans gilet, en veston de jardin, il avait bonne mine, gras, rougeaud, à peine grisonnant : le geste seulement s’était alenti. Il prit les rênes, cria hue ! en boule sur le siège, à la paysanne. On dut arrêter chez le boulanger : des convives, la veille, avaient vidé la huche. La provision faite, on roula d’un trait.

— Tel que tu me vois, me dit-il, je suis vigneron : j’ai ma vigne. Bon an, mal an, je me fais six à huit feuillettes de petit vin de pays : tu goûteras.

Et pointant son fouet, il énonçait à mesure :

— Moulin-Galant… Pressoir-Prompt… Demi-Lune… Chez moi !

Des roses par touffes, des arbustes, des sentiers bordés de parcs soignés, et par de là, sur une pente descendant jusqu’à l’immense coulée moirée de la Seine, un verger vigoureux, riche en abricotiers : c’était son domaine. Sur l’autre rive, en face, le versant remontait, stylisé comme un paysage de Puvis. Entre le verger et le jardin, le type étrange et pittoresque d’une habitation composite, faite d’une ancienne gare de chemin de fer