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une académie, formé tout jeune au beau dessin par son aîné, le graveur Jean-Baptiste, un rude éducateur et qui lui tapait avec une règle sur les doigts quand il dessinait mal. L’homme sanguin et barbu non loin, à tête de brigand calabrais, avec des yeux de braise et une bouche gourmande, était Louis Dubois, qui déjà torchait grassement une nature morte. Léopold Speekaert, membré, puissant comme un athlète, professait que tout le secret de l’art était dans le rapport exact des valeurs du ton. Il fut un des créateurs de l’école du gris en Belgique.

Par courtes apparitions venait là en camarade un petit homme, Ch. De Groux, fluet et nostalgique, les yeux acérés et tristes d’un bon Dieu de pitié. On sait mal en France quel grand cœur de peintre il fut à côté de Millet, lui-même une sorte de Millet des trimeurs du pavé, ivrognes et raffalés, traîne-savate et traîne-misère.

Un jeune homme fringant, qui s’amenait par passades, avait toujours des histoires à raconter. Il possédait un matériel coûteux, s’installait comme pour la vie, faisait d’étonnants dessins et refilait pour des mois. C’était Rops ; on aimait le voir camper son bonhomme en dix coups de crayon et par là-dessus pulvériser au pouce de la mine de plomb avec des gras de couleur. Quelqu’un ensuite arrivait dire qu’on l’avait rencontré perché tantôt au bord d’un marais en Campine, comme le héron, ou grimpant une côte ardennaise d’un coup de talon ailé, ou découvrant au pays d’Anseremme le gîte cordial qui devint le grand relai d’été et se dénommait Au repos des artistes.

Personne ne lui avait connu de maître et il savait tout. Il était nourri d’art jusqu’aux moelles. Il avait eu tout de suite l’œil et la main.

L’atelier Saint-Luc dura trois ans, de 1854 à 1857. Un beau jour, Rops cessa de venir : on apprit qu’il « caricaturait » au Crocodile.