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vivaces passions par je ne sais quel lourd bien-être, grossièrement riche et matériel, dans lequel ils ronronnent, béatement satisfaits comme des chiens repus, bayant au foyer.

« Peintres belges d’aujourd’hui, n’oubliez pas la parole de Jésus sur la montagne : « Malheur aux rassasiés ! » Prenez garde au Trop Bien-Être ! C’est un vêtement chaud et adipeux, mais il est pesant au corps, mortel à l’esprit et se change tout doucement en camisole de force qui vous immobilise les mains. Peintres belges d’aujourd’hui, vous croyez que lorsqu’on a une maison à Ixelles, deux salons à l’étage, une femme assez laide qui joue du piano, que l’on vend en Angleterre et que l’on a la considération de son bourgmestre, on est « arrivé » ! Vous vous trompez, souvent on n’est pas parti.

« Peintres belges, vous êtes trop facilement contents et heureux. Vous n’avez pas, comme ceux d’ici, passé cette dure, terrible, mais longue école qui s’appelle : la pauvreté, et d’où sont sortis Courbet, Millet, Rousseau, Daubigny, Troyon, bien d’autres ! et qui vaut mieux que l’école de Rome, l’Alta Mater des Cabanel !

« Vous n’êtes pas agités par les passions et les fièvres de ce temps, et il faut l’être ! — Je sens l’âme tourmentée de Salvator Rosa dans le mouvement de ses paysages, le bruit du siège de Rome rend plus nerveuses les ciselures de Cellini. Jamais Florence n’a produit autant d’artistes qu’à l’époque sanglante des Médicis.

« Tout cela est bon à l’art : quand le sang est chaud, le cœur et l’artère battent plus vite, et l’œuvre est meilleure. »

Il faut prendre cette étrange figure telle qu’elle nous vient, sans chercher à y mettre plus d’ordre que l’artiste n’en mit lui-même à s’élucider pour ses contemporains. Elle se modèle d’ombre et de lumière, comme certains por-