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les femmes, ses modèles, ses amies et sa constante adoration. Il n’en est point, de toutes celles qu’il rencontra, auxquelles il n’ait écrit et ce furent souvent de délicieux bijoux ciselés qui feraient la gloire d’une anthologie galante. Comme un Brummel, comme un Barbey d’Aurevilly, il avait le goût de la conquête ; il aimait mêler un rien de damnation à la cour qu’il leur faisait à toutes.

Il n’eût pas été le satanisant de ses Sataniques, s’il ne les avait également encensées avec le pétillement de ses braises rouges et si, par surcroît, d’un geste prometteur, il ne leur avait offert de communier sous les espèces de l’hostie noire. Mais le voyage à Cythère n’était souvent qu’une escale aux rives de l’illusion.

Rops fut en vérité un grand dilapidateur des apparences de l’amour. S’il ne fallait s’en rapporter qu’à sa correspondance, il ne cessa d’être le robeur des jardins de l’Hespéride : on le prendrait pour Jason multipliant, par delà les clôtures gardées, l’exploit des rafles héroïques. Mais le terrible séducteur était surtout un terrible imaginatif : l’histoire et la vie n’étaient avec lui qu’une légende dont à son gré il faisait joyeusement sauter les feuillets. Don Juan et le diable lui-même gardèrent toujours un peu, sous sa toque à plume de coq, quelque chose du grand rire hâbleur de Tiel Uylenspiegel. Il offrit cette contradiction de vivre, en marge de la vie, d’une vie cérébrale et fabuleuse, cultivant l’imposture avec le soin jaloux d’un amateur de plantes rares. Au centre d’un tourbillon d’anas et de craques, lui-même tourbillonnait en faisant pétarader des feux d’artifice derrière lesquels on finissait par ne plus voir sa ressemblance exacte. Il fut une extraordinaire anecdote vivante qui dans l’avenir, sous tous les masques qu’il se mit sur le visage et à travers le vague conjectural qu’il laissera de son passage aux rives des vivants, le fera comparer à ce comte de Saint-Germain dont il eut la jeunesse éternisée et qui, comme lui, voulut que le monde fût dupe des apparences qu’il lui offrait.