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temps et de tous les goûts, de toutes les passions et de tout l’idéal de son temps. Comme un autre Thésée, il pénètre dans le labyrinthe et s’affronte au minotaure. Les journées sont des semaines : il trouve le moyen d’être de toutes les fêtes et de travailler dix heures par jour. Il fait des frontispices, des lettrines, des fleurons, des culs-de-lampe, des menus, des devises, des marques d’imprimerie ; il grave pour Uzanne, pour Gouzien, pour le Dr Filleau, pour M. Camille Blanc, pour Neyt, pour Nys, pour Mlle Doucé ; il vignettise pour Dentu, pour Gay et Doucé, pour Brancard, pour Kistemaeckers, pour Lemerre, Deman, Quantin. Les plaquettes qu’il décore et qu’il continuera de décorer (L’Histoire de la Sainte Chandelle d’Arras, le Catéchisme des gens mariés, le Christ au Vatican, la Pudeur de Sodome, la Messe de Gnide, pour n’en citer que quelques-unes), sont innombrables. On sait quels admirables frontispices il exécuta pour Villiers de l’Isle-Adam, Mallarmé, Peladan, Champsaur, Guiches, Darzens.

Pour se refaire des muscles, il canote à Asnières comme il se refait les yeux en allant regarder à la Grande-Jatte la chair nue des belles filles au bain. On peut dire qu’à cette époque il est inconnu et déjà illustre : tout le monde connaît son nom et sa fière tournure, mais son art n’est encore connu que d’une élite.

Le plus dévoué des amis, Armand Gouzien, avait été un des premiers l’annonciateur de son génie auprès de la critique et du public. Un jour, au temps de la première Vie moderne, qui se publiait alors chez Charpentier, il avait avisé Bergerat qu’il lui présenterait un Mormon.

— Comment ! un Mormon ? s’était écrié Bergerat. Est-ce que le Lac salé s’abonne ?

— Mieux encore ! Le Lac salé collabore !

« Et le lendemain, raconta Bergerat, j’eus la visite d’un personnage singulier et inoubliable, remuant, vibrant, bavard et soliloquiste, dont la cheve-