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pour un sorcier et que, même dans ses apparences extérieures, avec l’air de gouaille de son visage, sous la double corne de ses cheveux en brosse, on voulut voir la ressemblance satanique qu’on cherchait aussi chez Baudelaire. En causant, d’un petit rire auquel on se défendait de paraître trop crédule, on l’appelait Mephisto et pour les catholiques surtout il évoqua si bien le diable que lui-même dans sa Tentation et ailleurs avait mis en scène, que le nom finit par spécialiser le sombre caractère de son génie.

À Anseremme, toutefois dans la compagnie des peintres, ses amis, personne n’était plus simple ni meilleur enfant ; s’il se montrait hâbleur et craqueur, selon la coutume même du pays, c’était si naturellement qu’il avait tout le premier l’air de croire à ce qu’il disait. À l’auberge, il était le beau parleur infatigable qui, d’une enfilée et sans jamais tarir, entremêlait le grave et le badin, parlant de tout avec une abondance et une sûreté qui étaient le perpétuel étonnement de tous ceux qui ne le connaissaient pas encore.

On n’échappait pas à la séduction de sa verve, de son esprit, de son savoir sans façon, car cet homme qui se piquait de n’avoir le temps ni de dessiner, ni même de lire un livre, pris par la multiple aventure de la vie compliquée qu’il aimait laisser conjecturer, pouvait dérouler, en causant, les feuillets d’un véritable répertoire vivant. Peut-être au fond ne savait-il bien qu’un nombre de choses plus limité qu’il ne paraissait, mais avec sa malice d’esprit et son sens des ruses de la conversation, il donnait l’illusion d’une vaste perspective intellectuelle et d’un panorama d’idées. Ce qui est certain, c’est qu’il n’ignorait pas les lois générales du monde et qu’il connaissait la terre comme un voyageur qui a accompli des périples réitérés. Les fleurs, les plantes et jusqu’aux herbes et aux lichens surtout lui étaient familiers. Son père, le vieux fabricant d’indiennes, avait eu le goût vif des jardins, versé également aux secrets du monde végétal, et peut-être ce fut chez l’artiste l’origine de ses aptitudes et de sa meilleure science.