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des palais. Il vit un jour, une heure, dans tous ceux qu’il se bâtit. Et il passe : les palais s’émiettent sur ses pas.

Après tout, la Société lui avait servi à renouer en Belgique d’anciens compagnonnages : ensemble on avait eu de bons moments à chercher des secrets d’art, à gratter des plaques, à faire mordre, à jouer avec des acides. Comme il apportait en toute chose une nuance de dandysme, on garda le souvenir de son geste élégant, le geste d’un Siegfried des morsures et des beaux encrages réveillant cette Brunehilde, l’eau-forte belge, derrière de séculaires barrières. Rops, du reste, aimait les beaux gestes, au moral et au physique. On vantait unanimement celui dont il maniait ses terribles corrosifs et qu’il pratiquait pour la galerie. Tout en causant, la cigarette sous la moustache, il prenait le cuivre ourlé de son rebord de cire et le tenant au creux de la main, sûr de lui, avec l’inclinaison voulue, il versait l’acide qu’ensuite, d’une oscillation légère, il laissait circuler dans toutes les parties. Sa beauté, son esprit, les bonnes fortunes qu’on lui prêtait concertaient pour le parer d’une séduction de don juanisme dans l’art et la vie.

À Paris, à Bruxelles, dans tous ses ateliers, comme les toxiques d’une officine de chimiste, les flacons en piles serrées s’alignaient, collés d’une étiquette et proposant des mystères de morsure. Il aimait les manier en discourant et vantant leurs propriétés, un petit feu dans le velours marron des yeux. Il avait la passion du métier de son art ; il en avait aussi toutes les curiosités, jamais las d’apprendre et de révéler ce qu’il savait, sournois à la fois et communicatif, travaillant l’effet de ses acides comme une Locuste ses poisons, toujours à la recherche de procédés nouveaux, perfectionnant les modes d’emploi de la résine, du cuivre et de l’outil. C’est le temps où il fait d’innombrables pastels, dessins, pointes sèches d’une ténuité capillaire, croquades en deux traits, bouts de morsure sur des bouts de cuivre et