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de Ville et servit aux tirages de la Société. Bruxelles et Anvers avaient bien leurs imprimeurs, mais trop froids et trop classiques et qui tiraient surtout pour l’Académie. On reconnaissait pourtant que Bauwens, qui s’était fait la main dans les éditions de Poulet-Malassis, ne s’était pas mal acquitté des tirages de la Légende d’Uylenspiegel.

Nys, en manches de lustrine, l’air hermétique d’un alchimiste travaillant au Grand Œuvre, tirait sans trêve : il était passionné de son art et visait aux beaux noirs légers et pleins. Comme le bruit s’était propagé qu’il avait rapporté de là-bas, où il tutoyait les maîtres, des recettes qui rendaient presque inutile le travail du graveur, tant il savait l’habiller, les amateurs arrivaient en files pressées, tout préparés à s’acquérir un renom dans ce grattage du cuivre qui, à l’aide d’un peu de noir, donnait de si beaux effets.

Le maître, lui, se montrait indulgent, multipliait les conseils, parfois grattait lui-même pour les autres. Sa vie, pendant tout un temps, ne fut qu’un cours d’eau-forte où il se prodiguait jusqu’à oublier son labeur personnel. Et quelle joie quand il lui venait une nature artiste et qu’il croyait avoir découvert une vocation ! Une passion d’art le retenait là des heures et des jours, travaillant avec le patient Nys, habit bas, les bras nus comme un artisan, penché sur la presse dont il activait ou retenait la manœuvre, accouchant la planche, regardant sortir l’épreuve toute humide et molle d’encrage frais, puis la portant à la lumière des vitres, curieux, inquiet, fouilleur, un petit point aigu dans l’œil, comme fait la sage-femme pour reconnaître le sexe de l’enfant.

Après un silence, des mots partaient, brefs, jetés de cette voix de gorge qu’il communiquait, avec les secrets de son art, à toute une clientèle d’intimes qui finissaient par avoir le même coup de glotte brusque, si amusant. Derrière lui, doublant sa belle tête cavalière aux frisures brunes, s’avançait la tête