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la vie à ses lèvres. Puérilement je me prêtais ainsi à ce jeu délicieux. Elle avança donc doucement et je me tenais immobile, attendant que son clair visage se mirât tout près du mien dans le ruisseau. Mais voilà, le courant soudain sembla rouler toutes les roses de l’aurore et Ève, dans le fluide miroir, était nue comme la jeune épouse d’Éden. Ô prodige ! Matin du monde ! Ève avait dépouillé sa robe et, avec sa chair vermeille, elle était là, devant moi, me riant à travers l’eau comme si fraîchement elle sortait des mains de la nature. La clarté de son corps, je la tenais au creux de ma bouche et ensuite, comme une gerbe de roses et d’azalées qui s’effeuille, elle s’épandait au loin avec le flot. Ô Ève ! est-ce bien toi ou n’es-tu qu’un léger et radieux fantôme ? Je suis l’orphelin Adam, je suis l’humble homme triste, avec ses mains vides et découragées par dessus le fleuve. Et toi, te voici : tu sors de la terre, tu jaillis de la nue comme un météore. Je t’ai vue venir du fond de la vie. Ève se pencha et maintenant sa