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moi, je suis le maître de ma chair… Aucune femme jamais ne mettra le pied dans ma forêt. Je dépeçai le chat sauvage ; je raclai avec un silex sa peau saigneuse, et ensuite je dormis la tête dans cette fourrure, chaude encore de vie. Le poil des bêtes me coulait aux doigts une volupté cruelle, plus délicieuse que la toison féminine.

Après tout, j’étais libre et heureux. Ma carabine me procurait largement ma subsistance. Je mettais cuire aux landiers du ramier, du lapin, un fumet savoureux d’écureuil. Misère avait la moitié de la bête. Et une source fraîche coulait dans le taillis, près de la maison. C’était aussi le temps de l’airelle et des fraises sauvages. Si seulement un pauvre visage humain de temps en temps avait pu apparaître le long du bois, je n’aurais rien eu à envier à personne. Le matin il montait au soleil de petites fumées où s’évaporait la rosée nocturne. Ainsi le mal que les hommes m’avaient fait, lui aussi s’était dissipé en un nuage léger.

Le dixième jour, le chien avec moi vint