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une fois ma main planait au-dessus d’elle comme le vol immobile d’un large oiseau aux plumes molles, avec la peur et le désir en folie de sa chair innocente. J’étais un homme qui voit s’ouvrir le jardin divin d’Éden et qui demeure éperdu sur le seuil. Et entre elle et moi il y avait maintenant l’amour même comme une défense religieuse. Elle avait remis sa vie entre mes mains et toute la vie de sa race avec elle ; et là-bas, dans le brouillard des âges, Dieu faisait un geste comme le semeur.

Je restai donc un peu de temps penché sur ses yeux immenses avec ma main ouverte comme sur la profondeur d’une eau, sur le vertigineux abîme du temps. Et puis l’odeur chaude de sa jeune force m’étourdit, ma force sauvagement leva et je connus le goût de sa bouche. Ce fut la première blessure. Ses yeux s’évanouirent, elle sembla n’ètre plus qu’une ombre dans l’heure pâle et moi j’étais pendu à ses lèvres froides comme aux grappes gonflées d’une vigne. Sa vie expira, renaquit ; je sentais sa chair battre de délire et de peine.