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quand elle était venue dans la forêt ; j’avais oublié qu’en ce temps moi-même j’arrivais des villes. Nous avions toujours été là ; nous y étions venus comme de petits enfants aux jours jeunes du monde. Voilà bien les grès et les basaltes des planètes, blocs d’éternité aux mêmes trous clairs du ciel. Il y a des milliards d’années que le jour se lève sur ce coin de nature où ont poussé les chênes. Et tu as l’âge de la terre, Ève ; tu es toujours le même symbole des petites mains maternelles pressant tes seins pour en faire jaillir le lait. Voilà, oui, nous vivions dans le bois un grand songe de vie.

L’automne répand ses corbeilles d’or et puis l’hiver comble la grange. L’hiver et l’automne, dans l’ordre du monde, ont une beauté égale au printemps et à l’été. Ève était pour moi le prodige harmonieux des saisons. Elle venait à moi, les mains pleines de sa vie, avec les fleurs et les fruits et elle attendait tranquillement l’hiver. Chacune de ses heures se rajeunissait de toutes ses heures vécues. Elle eut des grâces belles et graves sous nos ans