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pur à l’égal de moi-même. Le bel étranger, en admirant Ève, m’apprit à la trouver plus belle moi-même. Je n’avais pas le droit d’en prendre ombrage, car un paysage appartient à toutes les âmes sensibles ; et la femme aussi est un paysage vivant sur lequel se lève et se couche la beauté.

Ève regardait donc cet homme avec sympathie, lui trouvant un charme encore inconnu, et elle avait défait son corsage ; elle ne s’apercevait pas que sa gorge était nue tandis qu’elle allaitait, sur la fleur divine de sa vie, notre dernier enfant. C’était pendant une après-midi de l’été. Les jeunes taures mugissaient sous les berceaux verts. D’aimables brebis paissaient près des seuils. Et il y eut cette année-là, une telle floraison aux églantiers que leurs cœurs à mesure repoussaient sous la dent des chevreaux. Le soir tomba ; l’homme s’en alla aux dernières clartés. Nous lui avions offert de passer la nuit sous notre toit. Mais il disait qu’il avait à faire là-bas aux hameaux. Il regarda une dernière fois Ève. Et moi, avec les chiens, je l’accompagnai jusqu’à la lisière.