Page:Lemonnier - Adam et Ève, 1899.pdf/34

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chanson des feuillages. Par moments, mon cœur doucement cessait de battre. J’aimais surtout un site, l’ombre fraîche d’un ravin où sur des éboulis de pierres rouilleuses, entre des cépées de coudriers et de chêneaux aux jeunes pousses dorées, courait avec un clapotis léger le ruisseau qui, de pente en pente, descendait jusqu’à mon seuil. Des lumières, devant moi, givraient les dessous carminés d’un bois d’épicéas dont le versant déclinait vers la combe ; et l’autre versant, ensuite, remontait vert, touffu, arboré d’érables et de bouleaux. Des chèvrefeuilles se nouaient autour des arbrisseaux, avec une odeur poivrée d’aromates. Je demeurais là, étendu parmi les fougères, au bord du friselis de l’eau.

Elle m’évoquait le rire mouillé d’aube qui, si mélodieusement, tinta dans le matin. Elles étaient là trois filles, aux bouches rougies du suc des fraises. Oh ! il y avait si longtemps déjà de cela ! C’était comme un ancien refrain de légende. Dans l’éternité de la forêt, ma vie et toutes les autres vies se perdaient sans date aux gouffres clairs du jour. Au fond de