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ADAM ET ÈVE

lupté. Il m’offrait de continus festins divins. Il était la table chargée de fruits frais et de gâteaux sucrés. Il m’était proposé comme un abrégé des splendeurs et des rythmes du monde. Mes organes avaient la souplesse des tigres et la grâce des brebis pour mieux servir à mes joies. Un fleuve courait dans mes ar­ tères. Aucun jardin n’avait de végétaux com­ parables aux anémones azurées et roses de mes trachées ni la mer de polybes aussi beaux que mes bronches ni le sel des cristaux plus rares que la forme de mes cellules. Pourtant il m’était interdit de m’aimer dans la force et la grâce de’ma nudité. Mes mains et mes pieds ne faisaient pas le mal en marchant et en portant les nourritures à mes dents. Mais voilà, au centre de ma vie était situé le signe par lequel je m’attestais moi-même un ou­ vrier d’éternité. L’arbre noueux des races était planté en travers de mes aines. Et à cause de cela, j’étais la rougeur du péché. Oui, à cause de l’amour et de mon être physique, je restais réprouvé dans le délice intime de mes fibres, dans mon ardente et sensible