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terre violée se soulevait, bondissante et pleine de clameurs, et moi, les mains au mancheron, j’allais à grands pas, rayant de l’orient à l’occident, selon la courbe du soleil. Mon cri, au bout du premier sillon, monta plus haut que la colère du champ, car par mon savoir je m’étais égalé à l’art sacré de l’antique laboureur. J’étais l’époux ivre de vie qui blessa le flanc vierge de l’épouse. L’étendue tressaillit donc, sourde et profonde, sous mes pieds. Pendant trois jours je guidai en tous sens l’arau et ensuite, m’étant attelé fraternellement avec l’humble ami à la herse, j’égalisai l’aire, nourrie dès l’octobre de bouses fraîches et de terreaux pourris. Ève ! apporte à présent la graine vermeille. À larges enjambées égales, accordant ma marche à un rythme harmonieux, je pointerai droit devant moi par le champ, plongeant mes mains dans le semoir et les ouvrant, et arrivé à la limite, je reviendrai sur mes pas, marchant toujours comme le temps qui sème les heures. Ainsi faisant, la semence ruissela en pluie d’or de mes doigts et elle tombait au loin.