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fance. S’étant appuyé à la table, il se leva et regarda à travers la porte ouverte la belle nuit limpide. La forêt, sous le cristal des étoiles, avait un sommeil fluide et frémissant comme le mystère énorme et délicat, des flores ondulant aux silencieuses lumières des eaux. L’ombre molle s’évanouissait au bord du lac Jaiteux des gazons. Et lui, très grave, avec un front prophétique, se tenait maintenant penché sur cette nuit délicieuse. « Je vois les temps, dit-il. Il viendra un jour où les âmes, plus proches du vrai Dieu, se reconnaîtront barbares et futiles pour avoir déserté tes voies, ô nature bienveillante. Alors les hommes sortiront des cités immondes et avec simplicité ils s’en iront vers toi, mère, écoutant le vent et les oiseaux. » Ensuite il resta un peu d’instants à se parler à lui-même avec une bouche sans voix, comme du fond d’un abîme d’où ne remonte pas la parole. Et Ève, belle comme la nuit d’été avec ses yeux humides, d’un souffle bas me dit : « Crois-moi, cher homme, celui-là est un saint descendu dans cette forêt. Ses paroles ont un arôme céleste. » Mes