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ler, car les âges se renouent dans l’esprit des vieillards. Ils sont entrés dans la forêt avant le jour ; eux et les races sont un même jour d’éternité. « L’étoile ! Ève ! Ce vieillard a vu l’étoile qu’aperçurent les mages et les bergers ! » Il y avait là pour moi un sens merveilleux comme dans une fable.

Cependant le soir était tombé. Un frisson frais courut, la terre fut humide comme autour des fontaines et Ève avait les pieds nus. Je la pris donc dans mes bras et la portai vers la maison. Et le patriarche à petits pas allait devant, tenant le sommeil d’Héli dans la chaleur de sa barbe. Ève alors, se tourmentant, me dit secrètement : « Comment nourrirai-je cet homme puisqu’il n’y a pas de pain sous notre toit ? » Elle me rappela ainsi que nous étions plus pauvres que le pauvre, car sans doute le froment et le seigle cuits au four avaient réjoui sa faim au passage des bourgs, et notre champ n’avait point encore levé. Moi pourtant, mettant ma confiance dans mes mains mâles, je lui répondis avec une foi ardente : « La moisson sera comble un jour,