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que le blême et cruel visage des hommes m’était devenu inconnu ! Je fus le voyageur qui pendant des mois a marché à travers la brousse et tout à coup voit apparaître un autre homme comme lui. Ceux-là aussi se sentirent fondre d’intimes et poignantes ardeurs, dans le goût de l’embrassement sublime. Mes lèvres tremblaient, j’avais mis les deux mains sur l’épaule du vieillard et j’étais devant lui, avec un regard mouillé et cordial, avec des choses vierges et suprêmes en moi que je ne pouvais exprimer. Son visage, sous les rides, avait la gravité des passives souffrances et les yeux frais d’un enfant. « Ô homme, lui dis-je, je ne te demande pas ton nom. Tu es la faim et la lassitude du pauvre. Et il y a ici des êtres bienveillants. » Il me regarda avec un étonnement inquiet et presque douloureux. « Aucun homme depuis longtemps ne m’a parlé avec cette douceur, dit-il enfin. Peut-être un homme malheureux seul peut-il s’attendrir ainsi sur les maux d’un autre homme. » Sa poitrine se gonfla du désir de me consoler. Je lui répondis cette simple parole : « Ève et moi