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tine effeuillée ; la fraise avait repoussé drue et rose ; tout le fossé saignait de larges gouttes d’aurore. Je songeais : il y avait là trois filles. Je pensais surtout à la troisième. Je n’étais pas triste ; c’était plutôt un état très doux, la langueur tiède de l’attente. Il faisait un joli temps gris entre deux nuées. Pas une feuille ne bougeait. Et je suis reparti couper du bois dans la forêt ; je l’amassais en falourdes ; et ensuite je les portais près de la maison. Mes idées étaient comme le ciel, entre deux nuées. À force de le regarder en moi, je ne savais plus comment était fait le visage de l’enfant. Oh ! si humblement je touchais avec mes mains sa robe, sa petite robe à plis droits sur le chemin ! J’étais à présent un si pauvre homme solitaire.

Dans l’après-midi un vent tiède souffla ; le ciel grésilla en fine brouée. C’était une de mes joies, la pluie en forêt, la petite rumeur qui vient des fonds et puis grossit comme les pas pressés d’une foule. Cela me remplissait si doucement l’âme de voix perdues, de choses d’autrefois ! Je croyais entendre les pas