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À mesure l’espace s’accourcit. Infatigablement je fonçais la terre et ensuite je brûlais les souches et les mottes. Le feu longuement couvait, préparant l’engrais fertile des cendres : un jour leur tourbillon argenté répandrait au loin la substance. J’entrais à l’aube dans la friche, je ne la quittais qu’à la tombée des ombres. Des images légères, pendant ce pénible labeur, me visitaient. J’avais l’âme exaltée d’héroïsme. « Vois, disais-je à Ève, j’ai été le charpentier et à présent je suis le laboureur. Ma houe à coups d’éclairs casse le caillou et les débris ligneux. Je la brandis comme un glaive. Je suis le pasteur des idylles et je suis le héros du sillon futur. Comme aux temps fabuleux, un homme, un héros ici, vainqueur des forces, marche dans l’or et la pourpre des jours. À toi et à l’enfant, chère épouse, je dédie mes trophées. » Ainsi je lui parlais avec une jactance joyeuse. L’été magnifie l’humble travail et le soleil verse au cœur le royal orgueil. Un obscur laboureur alors étanche ses sueurs avec des mains lourdes et glorieuses comme après un combat.