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Héli ! par le bienfait de cette eau sois désormais mêlé à la vie universelle ! » Je parlais gravement comme un prêtre présidant aux dédicaces. J’avais la conscience de faire là une chose belle et grande comme les anciens hommes venus avec leurs nouveaux-nés vers les fontaines. J’ondoyai donc l’enfant au frisson clair des eaux, et ensuite, l’élevant au-dessus de ma tête, je le portai à la chaleur du soleil. Je dis : « Soleil ! père des choses ! Je te consacre cette chère substance. » Un vent parfumé agitait ma barbe, une fauvette chantait dans les feuillages. Et Ève auprès du ruisseau s’était mis à genoux, les mains jointes. Maintenant l’enfant enflait sa poitrine carrée et encore une fois poussait le cri de la vie, comme une libre bête de nature.

Nous restâmes un long temps nous taisant, écoutant en nous l’orgueil et la joie du sang. Et puis Ève s’assit dans l’herbe et tourna ses mamelles vers Héli. Le lait en coulant à mesure soulevait son ventre d’une palpitation lente ; et le tenant d’une main appuyé contre le sein, elle cueillait avec l’autre des fleurs