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vie. Une clarté d’enfance baignait ses prunelles. Son petit enfant déjà lui montait aux yeux dans cette lumière fraîche et perlée. Le léger ciel matinal, lavé d’améthyste, n’a pas un plus humide et brillant orient. Elle était elle-même à présent une enfant frêle et tendre, avec un autre visage, dans le mystère et l’attente. Ses gestes ne s’achevaient pas, ils demeuraient suspendus dans l’air comme si elle ne vivait plus tout à fait ou qu’elle ne vécût pas encore. Quelquefois elle oscillait, les mains devant elle, comme un berceau se balance. Un homme qui a vu cela est près de Dieu comme devant la grande mer, comme sous une nuit étoilée ; et il pleure à mains jointes silencieusement, il croit voir naître le monde.

Ève maintenant aussi restait de longs instants les yeux perdus au loin ou inclinés vers la terre. Ni elle ni moi ne savions ce qu’elle regardait. Elle regardait bien plus loin que la vie et elle attendait. Elle me dit une fois cette chose délicieuse : « Je ne sais plus si c’est lui ou moi qui vit ma vie. » Et