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mouillé effluait des terrains fangeux et gras, la douce senteur des souches pourrissantes. Ève ! Ève ! Je suis allé au bois, j’ai entendu venir la vie. Elle tressaillait sous mes pieds, elle gonflait l’aubier. Mais Ève secoua la tête. « Es-tu sûr, ami, que ce soit la vie ? Ne fus-tu pas le jouet d’un songe comme quand nous allâmes dans la clairière ? » C’étaient là d’étranges et dolentes paroles. La joie était partie. Nous nous aperçûmes las et découragés, captifs des lentes heures de la fin de l’hiver.

Nous errions comme des ombres pâles derrière les portes. Si languissamment à présent il nous arrivait de parler de la vie chez les hommes ! De petits hameaux aussi là-bas regardaient par les vitres des maisons, et il passait de vieilles gens tristes sur les routes. Une ardente fraternité s’exalta ; la vue d’un autre être vivant nous eût comblés comme une fête. Un seul visage humain eût été pour nous toute une humanité. Mon Dieu, petite Ève, être seuls comme nous sommes quand là-bas il y a le familial hiver autour des âtres ! Des aïeules coupent le pain ; de petits