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j’avais recommencé le geste éternel. Voici donc le berceau, chère femme. Je te l’apporte avec solennité ; je le pose contre tes pieds, et toi et moi nous pleurons. Les miens ici, rentrant avec leurs trophées de chasse, consommèrent des sacrifices sanglants. Et maintenant, dans la maison du carnage, un joyeux enfant courra les pieds nus et dispersera les ombres tragiques. Doucement Ève se mit à remuer le berceau du genou.

Je le taillai au cœur même du hêtre afin de lui assurer la durée. Cependant une légère secousse le mouvait. Ève en chantant le poussait et les antiques solives, enfumées par les feux des âges, étaient attentives à ce prodige du berceau venu là et agité par les mains déjà maternelles. La maison regardait la courbe de son flanc, arrondi comme le berceau. Toi, rude nature, pendant ce temps tu vidais tes fuseaux, tu filais tes neiges, tu tendais entre les arbres de la futaie les draps blancs. Et toujours des hêtres nouveaux croissent pour les berceaux et les bières.