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et il ne sait pas pourquoi. Un obscur ouvrier bat le fer et il en fait des outils, il ignore à quels usages ils serviront. Cependant l’arbre et l’homme travaillent pour les destinées. Moi maintenant, avec la doloire et le rabot dans mes mains, j’étais aussi un humble ouvrier d’éternité.

Il neige, il vente, il pleut. Une toison brillante ouate le toit. L’autan mugit comme un taureau furieux. Et je n’entends plus la clameur rauque du corbeau. Une vie légère, heureuse assouplit à mes doigts les outils. Je vis devant moi le temps où viendra l’enfant. Je suis le pauvre charpentier de Nazareth qui travaille pour Jésus. Et les formes à mesure sont des naissances ; en chacune naît un peu plus la tendre vie de celui qui attend derrière la porte. Il me semblait, tandis que j’étais là clouant et rabotant, que l’enfant déjà était venu. Cependant, avant d’entrer dans cette forêt, je ne pouvais tenir un outil dans les mains ; la nature avait fait de moi l’ouvrier soumis qui travaille pour les races. Et comme les autres avant moi, à mon tour naïvement