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souffler le vent ; la terre se soulevait d’un dernier effort vers le ciel tiède. Je tenais les mains d’Ève dans les miennes et voilà qu’une larme lentement descendit sur sa joue. Nous n’étions pas tristes, c’était en nous une chose subtile comme si notre sang coulait, comme si notre vie déliée ne pesait plus à nos corps. « Vois, me dit-elle, cette nature n’est déjà plus vivante, bien qu’elle s’enveloppe encore de soleil. À chaque battement de nos cœurs il pleut des feuilles. Et il n’y a plus de fleurs. Demain ce sera l’hiver. Ami, ne sens-tu pas comme moi ces douloureux présages ? » Comme elle parlait, une feuille tomba d’un chêne et fit une ombre sur ses clairs yeux mouillés. Et moi aussi à présent j’étais saisi de tristes pensées. Mais tout à coup un vol d’abeilles longues et velues vibra avec un bruit d’or. C’étaient les dernières de la saison ; elles bourdonnaient légèrement dans la fin des musiques, encore actives et heureuses. Aussitôt je fus transporté d’espoir. Je dis à Ève : « Elles t’ont entendue. Écoute-les te dire que tout recommence. » Elle secoua la tête « Tout re-