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jeune prêtresse avec les prémices. Moi, je fendais le bois au dehors, mais toi, tu avais le sens des choses intimes et gracieuses. Je marchai tout un jour, cherchant des pierres larges et rondes ; et à la tombée de la nuit, j’en découvris une ; le lendemain seulement je trouvai la seconde. Mais déjà le temps ne comptait plus pour nous ; peut-être elles étaient là depuis les anciens hommes, seuils d’antiques demeures ou clôtures de tombeaux. Je les emportai donc, bandé sous la charge. En les râpant patiemment l’une contre l’autre avec du sable et de l’eau, je parvins à les égaliser. Elles eurent ainsi la surface lisse des meules ; et quatre jours encore s’étaient passés. J’étais un si pauvre homme ignorant ; ma joie montait pour chaque humble industrie qui me venait aux mains. J’appelai Ève et je lui dis : « Pèle à présent la châtaigne ; elle est plus friable que le gland ; et voici, à moi seul je suis venu à bout de polir ces pierres rugueuses. » Nous nous regardions avec des yeux clairs comme si avant nous personne encore n’eût plani la meule ni broyé les substances dures.