Page:Lemonnier - Adam et Ève, 1899.pdf/128

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

là comme les autres fois secrètement près du ruisseau, avec un cœur tourmenté et sombre, comme un homme qui va affronter le mystère. Et un grand silence pesait sur le bois au loin ; la terre seule autour du pot ronflait et moi je soufflais l’ouragan avec le soufflet et avec ma bouche. Les arbres avec crainte semblèrent contempler ce héros barbare qui jouait avec les éléments.

Or personne ne m’avait appris l’arcane ; mais j’avais regardé profondément en moi comme à présent je regardais dans le creuset, et quelque chose lentement s’était élucidé : j’avais vu naître la forme courbe du vaisseau d’argile. Un homme le fait après un autre homme et il n’y a là que la continuité d’un même geste transmis. Mais j’étais le seul homme vivant dans cette forêt comme le premier ancêtre qui fouilla la terre et y mit le creuset. Celui-là n’était pas plus humble et plus ignorant que moi. Lui aussi un matin avait quitté l’abri et il était venu vers les lieux solitaires. Il tenait son front incliné avec des yeux ardents et timides sur le travail du feu