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au bout de tes lèvres et puis s’arrêta. Mais moi j’avançai la bouche et tu ne m’avais pas donné encore un tel baiser. La grive avait chanté, petite Ève ! Je n’ignorais plus à présent quel sens merveilleux se cachait dans cette voix de la forêt.

Les vapeurs remontèrent, les onduleux voiles autour de la chair frissonnante du matin. La nature fut nue sous le soleil et la jeune épouse aussi avait laissé tomber les robes de son âme. Une divine musique de vie chantait avec le ruisseau, les feuilles et les oiseaux.

Les autres matins ensuite j’éveillai Ève en frôlant avec ma bouche le bord soyeux de ses paupières. Elle dormait comme le sommeil du bois le jour où pour la première fois chanta l’oiseau, et enfin, sous le vent léger de mon souffle, ses yeux faiblement s’ouvraient. Alors, comme elle-même me l’avait dit, tendrement je déliais la nuit autour d’elle avec ce mot : « La grive a chanté, chère Ève ! » Ce fut comme un signe d’annonciation par lequel chaque matin je lui apprenais que mon amour était né. La grive n’a pas un chant plus beau